© Danièle Pierre
© Sylvain Dufayard
Cie Mossoux-Bonté

Presse

« Les Dernières Hallucinations… » sont une allégorie très libre de l’univers du peintre allemand Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) : connaissant les gravures de Dürer, il devint l’ami de Luther, et par ses bois gravés, l’un des créateurs de l’iconographie protestante. Si ses retables renouent avec le gothique international, ses scènes mythologiques, influencées par la Renaissance italienne, marquent une prédilection pour le nu féminin à l’expression volontairement perverse. La véhémence expressive, les tonalités intenses, le souci et le rôle des accessoires dénotent une « théâtralité picturale de l’étrange et de l’ambigu » qui témoignent d’un décalage trouble entre le sujet et sa représentation […]. Par glissements progressifs, dans le cadre ou hors du cadre, l’image n’est jamais ce qu’elle devrait être. Logés, incarcérés dans l’écrin d’un grand polyptyque, noir de promesses, « l’Évêque au poisson », « l’Ange à l’épée », « la Sybille de Clèves » ou encore « Sainte Tête » se meuvent dans un monde de torpeur : sourires, regards lancés au spectateur mis en position de voyeur, attitudes et gestes se situent constamment dans le champ de la perversité. Formes volontairement allongées, attitudes maniérées et décomposées, corps nus, corps dévêtus mais habillés de l’intérieur, corps cachés par d’épais et riches tissus de brocart s’inscrivent par passages pointillistes dans cette atmosphère « décalée », dominée par l’étrangeté, l’interrogation et la sensualité, et encore soulignée par la musique efficace de Christian Genet. Le regard à porter sur ces « Hallucinations » ? Celui que l’on jette vers un sablier invisible, dans l’horizon imprévisible d’images tronquées.  

Charles Philippon, Le Soir / août 1991

 

Les fantômes narquois de Lucas Cranach

Dans l’obscurité s’éclaire un cadre, puis un autre plus grand, puis un autre… En leurs contours apparaissent les figures de prédilection du peintre allemand Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) : l’évêque au poisson, Judith, Adam et Eve…

Cinq danseurs et danseuses, parés de velours ou de leur nudité très picturale, donnent chair à la toile. Ou plutôt, ils la prolongent de leurs propres résonances corporelles. La musique originale de Christian Genet cisèle les atmosphères et les rythmes de cette prise de possession, inquiétante ou étrange, surnaturelle ou insolente…

Sous nos yeux, les corps inertes arrachés au temps frémissent un réveil somnambulique, une respiration hésitante. Ils sont encore possédés d’immobilité mais s’agitent en de convulsives démangeaisons. « Repousse, de toutes tes forces, la sensualité de Cupidon / Ou bien Vénus prendra possession de ta pauvre âme aveugle », écrivait Cranach en vers latin au-dessus de sa « Vénus et l’Amour ». Le spectacle de Nicole Mossoux et Patrick Bonté semble s’amuser de cette maxime. Tout, dans les regards faussement innocents, dans les velléitaires approches, dans les pâmoisons impromptues, trahit la gourmandise de l’interdite tentation sans que jamais rien ne décèle sa concrétisation.

Au départ, de ces personnages que le mouvement impressionne, ne nous sont dévoilés que des fragments de corps. De cadre à cadre, leurs frémissements se répondent ou soudain dérivent en un même flux. Ils sont morcelés, tronquent la pesanteur et les perspectives en un irréel ballet d’apparitions et disparitions. Illusions. Ils semblent étrangers à eux-mêmes, à leurs membres, au livre, au sabre, au poisson, à la pomme qu’ils manipulent ou laissent choir. Ils semblent pénétrés d’une douce folie extatique comme si le mouvement qui les immergeait progressivement les ravissait. Ils sont les ingénus et suscitent l’équivoque, plus proche d’une ironie amusée que d’une inquiétante et trouble perversité.

Les dernières hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien distille ainsi glissements et soubresauts d’odalisque, de nymphe et d’ecclésiastique, réveillés de l’immobilité et des deux dimensions de la toile. Adam et Eve y dansent un impertinent et délicat jeu de la pomme. Le spectacle respire la cohérence et le plaisir. Au point que les personnages, irrémédiablement tentés par l’interdit, finissent par violer la cimaise théâtrale ingénieuse, conçue par Jean-Claude de Bemels, les cadres qui les morcèlent et les irisent d’irréalité. Lilian Bruinsma, Isabelle Dumont, Claire Haenni, Nicole Mossoux et Ives Thuwis restituent avec ingénuité, finesse et humour le rêve noir ouaté d’aveugles abandons, la dolence étonnée d’ivresses inconnues… De l’huile à la chair, du cadre aux planches, de la fixité à la mouvance… À savourer !

Claire Diez, La Libre Belgique / décembre 1991

 

Un torse sectionné dont on ne voit ni la tête ni les jambes. Clairs-obscurs. Tableaux entre immobilité et mouvement. Torsion d’un buste. Pression de doigts sur le satin d’une peau. [Cinq interprètes], en un jeu sur le cadre et le hors-cadre, exposent leur corps perversement morcelé […]. Sur la scène, mises en gestes, en espace et en lumière par la chorégraphe Nicole Mossoux et le dramaturge Patrick Bonté, les créatures à l’allure hiératique du peintre Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553) brûlent du froid désir infini qui les possède.

Le tranchant d’une lame cherche le galbe d’un sein. Une pomme roule de main en main, désirée mais abandonnée. Eve poursuit Adam. Ailleurs, un évêque penche le visage sur l’étoffe qui corsète somptueusement l’étrange blancheur d’un corps de femme […]. Mossoux et Bonté ont relayé, pour mieux la réinventer, la suggestivité étrangement retenue de ces figures peintes par l’artiste allemand […]. La fascination est d’autant plus grande que l’acuité érotique qui émane des personnages se double de distance. Trouble de cette présence qui sans cesse sollicite le seul regard. Un rituel se déroule devant nos yeux dont la circulation du désir est la règle. Ronde sulfureuse. Saisissante. Car Les dernières hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien cognent au continent noir à la part cachée de l’être, là où la raison bascule et où le sexe s’abouche à la mort.

S.W., La Cité / décembre 1991

 

Quand la chair se met à vibrer… Une pièce à la beauté captivante inspirée de l’univers du peintre renaissant Lucas Cranach. Étonnant ! Mossoux-Bonté : des gestes fins tels des virgules d’une phrase aux accents d’érotisme, d’humour et de mélancolie, où vibrent beauté des images et force musicale.

Olivier Hespel, Vers l’avenir / février 2000

 

S'inspirant des tableaux de Lucas Cranach l'Ancien, Nicole Mossoux et Patrick Bonté font vivre les modèles de l'artiste imaginant leur vie avant et après le moment figé par la peinture. Un mélange fascinant de trouble, d'humour de poésie, de violence, d'érotisme pour un spectacle qui n'a pas pris une ride.

Jean-Marie Wynants, Le Soir / octobre 2012