© Per Morten Abrahamsen
© Mikha Wajnrych
Cie Mossoux-Bonté

Trois mots sur Hélium

Comme un défi que nous nous sommes jetés à la face : serait-ce possible, pour une fois, de faire dans le léger, l’évanescent, l’insaisissable, alors que d’ordinaire le travail nous pousse vers des interrogations autour de la mort, de l’origine, du double, du malaise d’être… ? Pourrait-on alléger l’affaire et, filant une métaphore un peu forte, emprunter l’image des corps célestes qui brûlent leur énergie en transformant leur hydrogène en hélium, le plus léger des gaz ?

Tel était notre désir. Evidemment, il lui fallait un contexte : une scène à mi-hauteur, qui aurait déjà un peu décollé, un théâtre des opérations. Evidemment, il lui fallait un cadre : trois fenêtres ouvertes et fermées comme les panneaux d’un triptyque qui laisserait voir trois images en constant décalage, en narration syncopée, en contamination ou en association libre. Multiplier le regard pour mettre en cause l’évidence du centre, mais aussi créer un hors-champ dont l’importance révélerait l’impossibilité de contenir le monde dans un cadre et de l’enfermer comme il le fut magiquement à la Renaissance. Tout est trop complexe dans nos univers en miettes, la vérité comme l’unité nous échappent, elles ne peuvent fonder nos existences et les rendre nécessaires. Ce n’est pas un drame. Au milieu de l’éclatement, de la polyphonie, de la simultanéité, le regard recrée ses logiques.

Trois espaces et trois temps pour trois « thèmes ». Mais la séparation est arbitraire : Dieu, le sexe et la représentation ne sont-ils pas intimement liés ? Et le mouvement qui nous fait circuler à l’intérieur de ces concepts bien  réels n’est-il pas composé d’élans et de retraits qui en font des questions insolubles, rendant sans cesse manifestes les limites de notre esprit?

Si Dieu est bien réel dans la tête des hommes, il l’est hélas aussi devenu dans leurs sociétés. Les intègres mangeurs de courgettes ne peuvent se contenter de jardiner dans leur parcelle, il veulent de vastes potagers où cultiver les fruits de leurs délires. Qu’il faut ensuite vendre à travers le monde : propagande, publicité et compagnie. Obligation. Idolâtrie. Meurtre. Exploitation des femmes. Destruction de l’autre.

La question du sexe est plus intéressante, à condition de la découpler du discours de peur et de censure qui déforme ses enjeux… Pourquoi la peur d’ailleurs : la désillusion annoncée dans l’amorce de tout désir ne suffit-elle pas ? Tel est le sujet caché de ce chapitre, même si la sexualité ouvre sur d’innombrables métamorphoses, des névroses ahurissantes, des transfigurations imprévues…

La représentation, elle, appelle le jeu, même s’il est codé (l’opéra, la bourgeoisie lyrique), pour nous mettre à distance de ce que nous sommes et coller à nos ambiguïtés… Acteurs, nous devenons les figures explicites du bloc de nuit qui nous compose. Il est important que ce mystère demeure et qu’il soit mis en scène avec une auto-dérision qui articule le regard pour ne pas le laisser dériver dans la rêverie. Partager le fantasme, partager la noirceur, la déperdition, mais ne jamais céder aux puissances nocives. Créer des forces. Des tensions qui portent.

Enfin, quels que soient ses enjeux, le spectacle peut aussi se voir comme une fantaisie en mouvement dans laquelle les éléments se renvoient sans cesse à eux-mêmes, une mise en formes de sensations et d’idées destinées à disparaître dans les images qu’elles ont suscitées.

 

Patrick Bonté • 2005